Un vin au goût d'Antiquité

A Praz, Marylène Bovard Chervet élève une partie de son vin dans des jarres en terre cuite. Une méthode ancestrale et très naturelle.

Les amphores utilisées par Marylène Bovard Chervet sont faites en France, avec une terre locale et sans adjuvants. © Château de Praz

Dans la cave du Château de Praz, ça sent bon. Une odeur forte et fruitée. Nous sommes en pleine période de vinification et les cuves sont remplies de précieux liquide, en pleine fermentation.

C'est une période d'attente et de grande attention pour Marylène Bovard Chervet qui d'un pied sûr, grimpe à l'échelle au sommet des immenses récipients, observe la mousse qui s'est formée, hume mais pas de trop près quand même les effluves qui se dégagent.

Elle écoute aussi, parce que la fermentation émet un petit grésillement que la spécialiste perçoit sans difficulté. "On travaille vraiment avec tous ces sens". Des sens qui lui donnent très rapidement l'état de situation de ses vins. Et en cas de rhume, que faire? "C'est vraiment ennuyeux, souligne Marylène, mais heureusement j'ai des collaborateurs aussi qui sont très bien formés à être attentifs au niveau des sens."

Avec son mari Louis, elle gère un domaine dans sa famille depuis plusieurs générations. Avec passion et curiosité. Une curiosité qui a poussé le couple à investir dans quelques jarres en terre cuite, produites en France avec une telle locale "et sans adjuvants" souligne l'oenologue.

"Cette idée était depuis longtemps dans nos esprits" se souvient-elle. Et puis une dégustation, un jour, pousse Marylène et Louis à tenter l'expérience, il y a 7 ans. "ça fait partie de ce retour aux sources". L'amphore était en effet beaucoup utilisée jadis. Et pour la viticultrice "ça fait sens d'y retourner".

Freiburger rustique et chasselas en dentelle

Elle a essayé plusieurs cépages pour un élevage en jarre. Mais ceux qui ont produits les résultats les plus intéressants sont le Freiburger pour son côté rustique et le chasselas " beaucoup plus en dentelle".

Alors évidemment, c'est un matériau fragile, il faut être très soigneux quand on les manipule, on les lave. "On en a quand même cassé quelques-unes", rigole-t-elle. Et puis la terre cuite est poreuse. Il faut donc les fermer hermétiquement une fois le vin à l'intérieur, après avoir réalisé la fermentation alcoolique -  dans une cuve "classique". Car la fermentation en question, à savoir la transformation du sucre en alcool grâce à des levures, dégage du gaz carbonique qu'il faut pouvoir évacuer.

Une fois la fermentation achevée, le vin est mis en jarre pour développer ses arômes avant la mise en bouteille. Le but est d'intervenir le moins possible, sans ou avec peu de brassages. Avec cette méthode naturelle, Marylène a constaté que la maturation se fait plus rapidement. Et les vins, auxquels elle marie environ 10% de celui produit en jarre, sont par conséquent prêts plus rapidement. Une vraie plus-value pour une production qui tourne sur une année et qu'il faut pouvoir renouveler dans les temps. D'ailleurs, en 2021, les les volumes produits étaient plus faibles en raison des mauvaises conditions météo de l'été. La cuvée est donc déjà totalement écoulée. Les clients doivent donc attendre celle de 2022, actuellement en préparation.

Le stress de l'artiste

Les clients justement sont très curieux de cette méthode de vinification en amphore. Mais Marylène Bovard Chervet n'en fait pas un argument marketing "On n'expose pas nos jarres" souligne-t-elle. Pour l'oenologue, seule la plus- value qualitative et gustative compte. Son goût justement évolue, constate encore la viticultrice. "Je ne fais plus les mêmes vins qu'au début de ma carrière".Elle ose plus mais propose des produits qui la convainquent toujours à 100%. Mais ça l'empêche pas d'avoir toujours une petite appréhension au moment de présenter sa nouvelle cuvée "C'est un peu le stress de l'artiste qui monte sur scène".

Et dans cette recherche et ce chemin vers des méthodes plus naturelles, le couple de viticulteurs a franchi un nouveau cap cette année : une reconversion au bio. Une démarche mûrement réfléchie "Le bio c'est pas tout blanc par rapport au conventionnel qui serait tout noir, explique Marylène. Le recours parfois à un produit chimique peut éviter de devoir ensuite traiter beaucoup". Mais cette fois, le pas est fait au point que le couple plante des cépages qui n'ont pus besoin de traitements, parce que "il faut essayer d'être cohérent du début à la fin".

RadioFr. - Sarah Camporini
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