"C'est vrai que la paperasse reste un peu de côté"
3 femmes de paysans sur 4 n'ont pas de revenus déclarés et risquent gros. Mais la situation évolue. Exemples à Fribourg.

Travailler de longues heures, 365 jours par an ou presque, et se retrouver finalement sans rien, suite à une séparation ou un divorce par exemple. Une situation à laquelle les femmes d'exploitants agricoles sont particulièrement exposées, si elles n'ont pas pris certaines précautions.
Anne-Lise Thürler, elle, a pris les devants. Paysanne brevetée et agricultrice diplômée, elle travaille avec son mari Fabien sur leur exploitation de vaches laitières à Porsel. Des papiers qui lui permettraient, le cas échéant, de reprendre les rênes du domaine. Et puis ses revenus sont déclarés, de quoi lui garantir une couverture sociale adéquate.
Des démarches que beaucoup ne font pas, parce qu'elles n'ont pas conscience de leur importance ou ne prennent pas le temps de le faire. "C'est vrai que dans l'agriculture, on a le nez dans le guidon. La paperasse reste un petit peu de côté", souligne Murielle Chassot, présidente de l'Association fribourgeoise des Paysannes.
Des situations dramatiques
Les conséquences sont parfois très lourdes pour certaines femmes d'exploitants. Elles se retrouvent sans AVS, sans 2e pilier, sans rien alors qu'elles ont largement participé à la tenue de l'exploitation. Avocate à Fribourg, Maître Nathalie Weber-Braune a vu passer plusieurs cas de ce genre dans son étude. Comme cette épouse d'exploitant, complètement dépendante financièrement de son mari, qui a découvert au moment de son divorce que ce dernier était au bord de la faillite. "C'était dramatique pour cette femme", déplore l'avocate.
Mais les mentalités évoluent. Il faut dire, comme le relève Anne-Lise Thürler, que les femmes de paysans sont de plus en plus nombreuses à exercer un métier, parfois totalement étranger au monde agricole. Elles bénéficient ainsi des précieuses prestations que sont le congé maternité, ou encore l'assurance chômage. "Une situation bien différente de nos mamans, qui se mariaient jeunes avec un agriculteur et qui n'avaient pas forcément de profession", explique la quadragénaire.
Il n'empêche, 70% des membres de familles exploitantes n'ont à ce jour toujours pas de revenus déclarés. Pour permettre à chacun et surtout chacune de prendre conscience des lacunes de sa couverture sociale, l'Union suisse des paysannes a mis en ligne un questionnaire. "Si vous êtes mal assurée, la plateforme vous incitera à voir un conseiller", précise Murielle Chassot. La Fribourgeoise estime d'ailleurs aussi que les assureurs devraient être encore mieux formés à bien conseiller les exploitants agricoles parce que "c'est vraiment du cas par cas!"
Reconnaissance du travail accompli
Reste que même sans avoir pris les dispositions nécessaires, tout n'est pas perdu. Il existe des dispositions légales de base sur lesquelles s'appuyer. Comme l'indique Nathalie Weber-Braune, une épouse qui a travaillé sur l'exploitation de son mari, sans être déclarée, mais de manière importante, peut faire valoir son droit à une indemnité. Mais elle doit faire la démarche et se montrer déterminée, notamment en réunissant d'éventuels documents et en faisant appel à des employés de l'exploitation, pouvant témoigner de son important investissement personnel.
Certaines renoncent toutefois volontairement à leurs droits. Elles craignent en effet, en réclamant une indemnité, de mettre en danger le domaine et donc le futur héritage de leurs enfants. Mais là aussi, estime Me Weber-Braune, il y a des moyens d'obtenir son dû sans pour autant mettre en péril l'avenir de sa progéniture. Finalement, souligne l'avocate, c'est surtout la reconnaissance du travail accompli par l'épouse au sein de l'exploitation qui est importante, presque plus que la somme finalement versée.
Le politique s'en mêle
Aux couples d'exploitants donc de prendre leurs responsabilités et d'être prévoyants. Mais le monde politique a aussi pris conscience de la nécessité de mieux protéger les femmes paysannes. Le projet de réforme de l'agriculture, qui sera rediscuté en 2022, prévoit notamment une couverture minimale contre le risque de perte de gains, une allocation maternité étendue à la conjointe ou partenaire d'un exploitant et une indemnisation en cas de divorce.
Un progrès qui réjouit Anne-Lise Thürler. Mais pour la Fribourgeoise, les prestations fournies par les paysans doivent être mieux payées. Ils pourront ainsi mieux assurer les collaborateurs familiaux. "On n'a pas de baguette magique, mais à mon avis, ça devrait être possible".
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