Poulets Ross 308: le témoignage d'un éleveur fribourgeois

L'Observatoire du spécisme reproche à Micarna d'utiliser une souche génétiquement sélectionnée pour une croissance express. Nous avons visité une exploitation broyarde.

Bertrand Joye élève ses poulets Ross 308 à Mannens. © Frapp

Des images choquantes de poulets boiteux, malformés, morts ou agonisants issues d’un élevage de poulets de chair vaudois ont été diffusées la semaine dernière par l’Observatoire du spécisme romand. Selon l’organisation, ces vidéos révèlent les conséquences de l’utilisation de la souche "Ross 308", génétiquement sélectionnée pour une croissance ultra-rapide.

En ligne de mire: Micarna accusée de privilégier la rentabilité au détriment du bien-être animal. La filiale de Migros détient 45% du marché suisse du poulet.

"Ces images montrent ce que Micarna ne dit pas aux consommateurs: elle utilise une souche génétiquement modifiée pour grandir vite. Et vient matraquer le public avec sa soi-disant communication sur le bien-être animal", dénonce Pia Sharaz, porte-parole de l’Observatoire du spécisme romand.

L’organisation décrit des poulets aux corps disproportionnés, incapables de se déplacer correctement, certains morts probablement d’insuffisances cardiaques ou pulmonaires. Leurs constats sont appuyés par des vétérinaires.

L’éleveur témoigne

Bertrand Joye, éleveur fribourgeois de 48 ans, travaille avec la souche Ross 308 depuis près de dix ans. Il élève environ 216’000 poulets par an à Mannens, répartis en neuf séries de 24’000 individus. Il réalise un chiffre d'affaires annuel d'environ 1 million de francs pour ce secteur sur son exploitation agricole.

D'après lui, ce sont les industriels qui imposent cette souche. La demande a explosé: +40% en dix ans. Résultat, les cycles sont de plus en plus courts. Les animaux prennent 52 fois leur poids en 35 jours, selon la société Aviagen, qui a créé la souche génétique Ross 308.

Il cite aussi d’autres facteurs aggravants: réduction du temps d’incubation des œufs, suralimentation, et perturbations trop fréquentes. "Quand les poussins arrivent, ils pèsent à peine 40 grammes. Après deux ou trois jours, ils doublent presque de poids. Vers 30 jours, ils atteignent 1,5 kg. C’est à ce moment-là qu’on doit procéder à un ‘desserrage’, pour leur offrir de meilleures conditions de croissance."

Entre 200 et 800 morts

Il insiste sur l’importance du soin quotidien dans la halle d'engraissement: humidité, qualité de la litière, alimentation, hygiène et habitude au bruit sont essentiels. "La société Kneuss impose des normes strictes, si je ne les respecte pas, je risque des poursuites et des pertes financières importantes. Et personnellement, je bichonne mes poussins pour éviter qu'ils deviennent craintifs et fragiles", assure-t-il. "Mais sur 24’000, quelques malformations sont inévitables comme pour les humains."

En moyenne, l’éleveur enregistre 1 à 3,5% de pertes, soit jusqu’à environ 800 poulets morts par série, ce qui est considéré comme "normal" par la société argovienne pour laquelle il travaille. Une fois, il a atteint 5% de mortalité; une enquête vétérinaire a été immédiatement déclenchée.

Migros se défend

De son côté, Migros rappelle que 80 à 90% dans le monde entier, y compris en Suisse, utilisent des races intensives comme "Ross 308" (en Suisse) ou "Cobb 500" (à l’étranger). Selon l’entreprise, que nous avons contactée, ce n’est pas la race qui détermine le bien-être animal, mais les conditions d’élevage.

Tous les poulets de la filiale Micarna respectent la norme BTS (programme de bien-être animal soutenu par la Confédération), qui prévoit plus d’espace, un accès à l’air libre et des infrastructures adaptées aux comportements naturels.

Migros souligne également "l’avantage écologique" de la "Ross 308": elle produit plus de viande avec moins de ressources, réduisant ainsi l’empreinte carbone par rapport à d’autres races. En assurer la production en Suisse permettrait aussi d’éviter des importations aux normes de bien-être moins strictes.

En Suisse, les normes de protection animale sont parmi les plus élevées au monde. Alors que dans l’UE, environ 4% des "Ross 308" meurent durant l’élevage, ce chiffre tombe à 2% en Suisse.

RadioFr. - Yann Girard
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